Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Onilatkovoïa Mora = La Mer des Rêves
Onilatkovoïa Mora = La Mer des Rêves
  • Ce blog récapitule tous les rêves publiés sur Onilatki depuis la création du blog (chaque nouveau rêve publié sur Onilatki sera aussi publié ici). Les rêves seront postés à leur date originale de publication.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
6 novembre 2007

Tsytsivka

Voici un rêve en épisodes qui m’a beaucoup amusée (ça tient surtout des personnages). Les ******* séparent deux épisodes ; chaque épisode correspond à ce qui a été rêvé entre deux éveils, parfois la même nuit).

NB 1 : Tsytsivka, c’est moi !

NB 2 : Ce rêve a été publié à l’origine en 10 fois (un épisode par billet) : le 06/11/2007, le 08, le 19, le 22, le 25, le 26, le 30, le 03/12, le 09 et le 11. J’ai choisi de le publier ici à la date du premier billet et à l’heure du dernier.

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Une association secrète tente d’empêcher les nazis de fuir en Amérique Latine. Un bateau doit partir de l’Espagne pour l’Argentine, avec à son bord quinze nazis. Les membres de l’association assistent, impuissants, à l’embarquement. Toutefois, l’une d’entre eux, Tsytsivka décide d’agir.

Des types chargeaient à bord du navire un énorme colis. Tsytsivka se faufila derrière, et embarqua clandestinement. La sirène retentit. La jeune fille était montée sur le pont, et fit signe aux autres que tout irait bien, ce dont ils doutaient toutefois.

Le bateau avait maintenant gagné la pleine mer ; on ne voyait plus les côtes. Combien de jours durerait la traversée ? Tsytsivka l’ignorait. Il fallait de toute manière agir vite. Cependant, une petite chose qu’elle n’avait pas prévu s’interposa rapidement : on vint lui demander son billet d’embarquement. Elle essaya de baratiner, mais finit par être enfermée à fond de cale, avec pour gardien un jeune marin qu’elle trouvait très beau. « Tu t’appelles comment ? » lui demanda-t-elle. Le marin ne répondit pas. «  ¿ No hablas francés ? Entonces ¿ cómo te llamas ? » Il ne répondit pas. « Bon, bah, c’est pas grave… Je me disais juste que ce serait plus sympa de faire connaissance, apparemment on va passer un bout de temps ensemble… »

Deux jours étaient passés. Parfois le marin sortait, puis revenait toujours chargé de nourriture et d’eau. Tsytsivka avait fini par l’apprivoiser, et ils parlaient de choses et d’autres. Cependant, il fallait agir. Tant pis pour les autres, elle utiliserait les grands moyens… Il le fallait, et si elle restait coincée ici, le bateau arriverait et les nazis à bord débarqueraient pour disparaître dans la nature. Le marin venait de revenir, mais Tsytsivka ne tourna pas la tête : elle fixait la mer par le hublot. Elle savait ce qu’il fallait faire. Un mot murmuré suffit à faire lever la surface. Elle attendrait avant de l’abattre sur le bateau ; peut-être parviendrait-elle à négocier sa sortie. Mais quelque chose clochait. Le capitaine n’avait donc jamais affronté de vague scélérate ? Pourquoi présentait-il donc le flanc du bateau à la vague et non la pointe ?

« Ton capitaine va tous vous noyer, s’il s’y prend comme ça. Regarde par le hublot. »

Le marin s’approcha, pour se reculer aussitôt, affolé.

« Sors-moi de là vite, et allons le voir. Je dois lui dire comment s’y prendre. Et toi, tu devrais enfin me dire ton nom, c’est bête de ne pas le savoir. »

Le marin ne réfléchit pas, et sortit aussitôt avec Tsytsivka. Sur le pont, c’était la panique. Certains observaient avec terreur cette immense vague, d’autres couraient dans tous les sens ; l’équipage insistaient pour que les passagers regagnent leur cabine, et le capitaine refusait toute visite. Le marin força la porte, et Tsytsivka parla.

« Il faut prendre la vague de face, pas de côté !

– Et depuis quand les passagers clandestins savent mieux que les capitaines ce qu’il faut faire ?

– La mer, c’est chez moi. Et puis pour la vague scélérate –car on appelle ça des scélérates – il faut se souvenir de l’histoire de ces deux bateaux qui étaient au large de l’Antarctique. Une vague scélérate s’est levée ; le premier bateau l’a prise de côté, il a sombré et tout le monde s’est noyé ; le deuxième l’a prise de face, et s’en est tiré. Alors, je crois qu’il faut tenir compte de ça. »

Une étrange lueur passa dans les yeux de Tsytsivka. Les secondes s’écoulaient, et finalement le capitaine fit ce qu’avait dit la jeune fille.

« Tous à l’intérieur ! Personne sur le pont, et surtout éloignez-vous des fenêtres ! »

Tsytsivka ne put s’empêcher de penser « sauf les nazis », puis s’assit par terre avec le marin qui lui tenait compagnie depuis le début. Un nouveau murmure, et la vague s’abattit. Elle brisa quelques fenêtres, balaya le pont, et partit s’éteindre deux kilomètres plus loin.

« Juan Martín, haleta le marin, je m’appelle Juan Martín.

– Tsytsivka, répondit la jeune fille avec un sourire jusqu’aux oreilles. »Après ce coup d’éclat, le capitaine offrit à Tsytsivka la plus grande cabine du navire, qu’il réservait à sa famille quand celle-ci voyageait.

*******

« Donc, il faut absolument les empêcher de débarquer ! s’exclama Juan Martín.

– Exactement, et c’est pour ça que j’ai dû embarquer en urgence, clandestinement.

– Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas… Comment peut-on faire ?

– Il n’y a qu’un seul moyen…

– Les tuer ? Mais…

– Tu crois qu’ils ont eu des états d’âmes, eux ?

– Bah justement, on ne va s’abaisser à leur niveau.

– Oui, tu as raison… Aussi, que faire ? Les enfermer à fond de cale pour qu’ils repartent sitôt arrivés ? A condition que ton capitaine soit d’accord et qu’il y ait un comité d’accueil digne de ce nom en Espagne pour les emprisonner et les juger.

– Avec Franco au pouvoir ? Tu rêves…

– Et détourner le bateau vers une autre destination ?

– Non, on n’est que deux, ça ne marchera pas. »

Tsytsivka et Juan Martín se promenaient sur le premier pont, se creusant la tête quant à la façon d’empêcher les nazis d’échapper à la justice. Soudain, un bruit de vagues attira leur attention, et un sourire satisfait commença à se dessiner sur le visage de Tsytsivka.

« Regarde, des requins ! montra Tsytsivka.

– Ils sont énormes ! Je n’en ai jamais vu de si gros !

– Tu n’es jamais allé te balader dans le sud, alors. Je les qualifierais plutôt de « requins de taille moyenne », un petit

15 mètres

du nez à la queue. »

Un nazi s’approcha.

« Que regardez-vous ? demanda-t-il d’un ton sec.

– Des petites bestioles, répondit Tsytsivka, là. »

L’autre s’approcha. Deux requins tournoyaient, apparemment en recherche de nourriture. Ils allaient bientôt être rassasiés.

« Mais penche-toi plus, sinon tu vas rien voir ! » conseilla innocemment la jeune fille.

Sans se méfier, l’homme se pencha, avide de voir ce qu’il y avait de si intéressant dans l’eau. Lorsqu’il fut en équilibre instable, Tsytsivka le saisit par les pieds, et le poussa par dessus-bord, sous les yeux effarés de Juan Martin.

« Ils avaient faim, expliqua simplement la jeune fille.

– De cette manière, commença lentement le jeune marin, on ne les tue pas, mais on s’en débarrasse… en leur laissant quand même une chance pour ne pas s’abaisser à leur niveau. Les requins peuvent ne pas avoir faim…

– On a trouvé comment faire ! »

Tsytsivka et Juan Martin éclatèrent de rire, et partirent manger à leur tour… des tortillas et des gâteaux.

*******

Hop, plouf ! Juan Martín et Tsytsivka poussaient à l’eau le matin, l’après-midi, mais surtout le soir.« Ton rôle est de les faire boire, puis raconter ; mais toi par contre tu dois boire le moins possible ; et après tu les invites à faire un tour sur le pont pour s’éclaircir les idées, et moi j’interviens : on les pousse par-dessus bord ! » avait expliqué Tsytsivka.

Le plan était très simple. Après chaque intervention, un nom était rayé. Il n’en restait plus que cinq. Le reste du temps, les deux justiciers partaient dans de franches rigolades, organisant des cache-cache ou des chasses au trésor dans tout le bateau sans se soucier le moins du monde des autres passagers.

Cependant, le capitaine voyait d’un très mauvais œil les fantaisies d’un de ses marins, qui, tout occupé à s’amuser, en oubliait complètement ses devoirs. Il devait remédier au problème au plus vite. Il le convoqua, et l’assigna à la surveillance de la cargaison dans la cale. Tsytsivka, évidemment, n’était pas d’accord. Avec qui allait-elle s’amuser, maintenant ? Elle avait toutefois repéré que le capitaine était hypocondriaque. Elle alla le trouver, et fit exprès de reculer d’un pas, en l’observant d’un air inquiet. L’effet escompté se produisit aussitôt, et le capitaine lui demanda, alarmé :

« J’ai quelque chose ?

– Tu as mauvaise mine, très mauvaise mine, même…

– Ah, je le savais, je le savais ! Et pourtant, je prends tous mes médicaments tous les matins, tous les midis et tous les soirs ! Que faire, que faire ?!

– Je connais un remède qui pourrait faire l’affaire : il fera effet jusqu’à ce qu’on débarque, et certainement même après.

– C’est quoi ? Vite, donne-moi et je t’accorde tout ce que tu veux.

– Vraiment tout ?

– Oui, tout.

– N’importe quoi ?

– N’importe quoi !

– Eh bien… je voudrais que tu libères Juan Martín de tous ses engagements pendant cette traversée. Ça devrait pouvoir se faire, non ?

– D’accord, dès que tu m’auras rapporté ce remède. Fais vite, s’il te plait !

– C’est comme si c’était fait ! »

Tsytsivka sourit jusqu’aux oreilles. Elle avait obtenu ce qu’elle voulait, et quant au remède, elle savait où en trouver un qui ferait l’affaire. Elle courut sur le pont le plus bas, à l’abri des regards, vérifia que personne ne l’épiait, et plongea. Aussitôt dans l’eau, elle passa avec la rapidité de l’éclair sous le bateau, ramassa quelques roches phosphorescentes des profondeurs, remonta de quelques centaines de mètres en dix secondes à peine, se débrouilla pour remonter grâce à une petite vague qu’elle conduisit sur le pont. Elle se sécha (le fort vent qui commençait à souffler l’aida beaucoup), et se rendit chez le capitaine. Elle lui expliqua comment obtenir une poudre fluo et grise en frottant trois fois deux roches l’une contre l’autre, et avaler le soir la poudre ainsi obtenue diluée dans de l’eau. Le capitaine tint parole, et Juan Martín put voyager  libre comme n’importe quel passager.

*******

« Juan Martín ? Juan Martín ? »

Tsytsivka ne l’avait plus revu depuis qu’elle était partie faire la sieste en début d’après-midi. Il faisait nuit quand elle s’était réveillée, et maintenant, elle parcourait le bateau, inquiète. Où pouvait-il bien être ?

Sur le pont supérieur, Juan Martín cherchait Tsytsivka. Elle ne répondait pas dans sa cabine ; elle s’était enfermée pour faire la sieste, mais depuis le temps elle devait être réveillée… Une silhouette se dessina à quelques mètres de lui, et se rapprocha.

« Une petite promenade sur le pont, c’est agréable, n’est-ce pas ?

– Oui, répondit le jeune homme, peu rassuré.

– Ça peut toutefois se révéler dangereux, suivant la personne que l’on rencontre, ajouta quelqu’un derrière Juan Martín. »

Le marin se retourna : deux nazis figurant sur la liste noire de Tsytsivka s’avançaient vers lui. Et de l’autre côté du pont, un troisième. Un quatrième ne tarda pas à arriver, tournant entre ses doigts un couteau acéré.

« Tu crois qu’on n’a pas compris votre petit jeu, à toi et cette fille ?

– Maintenant, c’est à ton tour de servir de nourriture aux requins. »

Les deux hommes de derrière saisirent violemment Juan Martín, le plaquèrent contre la balustrade du pont, et le troisième se débrouilla pour lui bloquer les jambes, et le quatrième s’empara d’une de ses mains pour la taillader avec le couteau. Juan Martín tentait de se débattre, mais à quatre contre un, impossible de faire quoi que ce soit. Déjà, les autres avaient donné un avant-goût de la nourriture à venir aux requins qui tournoyaient, affamés, en pressant sur la main blessée de Juan Martín afin de faire couler son sang dans la mer. Et maintenant, ils s’apprêtaient à le faire passer par-dessus bord…

Tsytsivka avait entendu des bruits de lutte sur le pont supérieur. Elle s’était précipitée, et lorsqu’elle vit son ami en si mauvaise posture, elle fondit dans la bataille avec un mugissement de vague scélérate engloutissant tout ce qui était sur son passage. Un appareil, servant à elle ne savait trop quoi, attira son attention : elle le fit pivoter violemment, et les requins ne reçurent pas la nourriture qui leur avait été promise, mais davantage : les quatre assaillants bien dodus remplirent aussitôt leur estomac. Cependant, Juan Martín avait lui aussi été projeté. Il s’était raccroché au barreau le plus bas de la balustrade, et s’y agrippait comme il pouvait. Tsytsivka se pencha, et lui tendit la main.

« Prends ma main !

– Je ne peux pas, si je lâche, je tombe !

– Non, donne moi ta main blessée, elle ne tient rien du tout. Vas-y, doucement, voilà… »

Des marins avaient eux aussi entendu la lutte, et arrivèrent au bon moment. Juan Martín tenait de sa main valide la balustrade, mais commençait à glisser. Tsytsivka était dangereusement penchée, tenant la main blessée de Juan Martín d’un côté et le haut de la balustrade de l’autre. Mais elle sentait le sang qui coulait, et qui ferait tôt ou tard lâcher l’un ou l’autre… Un rapide coup d’œil sur le côté lui donna de l’espoir.

« ¡ Ayudad me ! ¡ Ayudad me ! »

Les marins se précipitèrent, et, lui tenant les pieds, lui permirent de se pencher suffisamment pour saisir à temps l’autre main de Juan Martín. Et enfin, ils réussirent ensemble à le hisser sur le pont. Il tomba sur elle dans un éclat de rire, et elle répondit avec un rire très peu humain, mais qui fit plaisir à tout le monde.

« Il faudra arranger cette main, suggéra Tsytsivka en examinant la blessure à la lueur de la Lune et des torches.

– Plus qu’un ! souffla Juan Martín. Plus qu’un et c’est bon ! »

*******

Le dernier nazi à bord se révéla vite plus prudent que les autres. Il ne mettait le nez hors de sa cabine que pour aller discuter avec le capitaine, ce qui laissait très peu de marge aux deux justiciers. Que faire ?

Toc toc toc… Et zut zut zut ! On tambourinait à la porte de Tsytsivka. « C’est qui ? lança-t-elle, mi-énervée mi embarrassée.

– C’est moi, Juan Martín. Je peux entrer ?

– Euh, non, je ne suis pas, mais pas du tout visible, là… Euh…attends deux minutes, et j’ouvre. »

Vite, il fallait se sécher aussi les bras avant que la vérité ne soit découverte. Il était encore trop tôt pour révéler ce secret à Juan Martín…

L’attente ne fut pas longue, et lorsqu’elle ouvrit, Tsytsivka constata la mine déconfite de Juan Martín.

« Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle.

– Viens voir… »

Il l’emmena sur le pont supérieur. Une bande de terre se dessinait à l’horizon.

« C’est…C’est une île, rien de plus ? Non ?

– Non, c’est la côte. La côte sud-américaine. L’Argentine…

– Comment faire ? On ne peut tout de même pas couler le bateau rien que pour empêcher un type de débarquer…

– La quarantaine…souffla Juan Martín.

– La quarantaine ?

– Oui, un médecin du port va venir inspecter le navire, et si une maladie contagieuse se déclare à bord, personne ne peut débarquer avant un bout de temps.

– Aaaaah, je ne me sens pas bien, tout-à-coup ! Aaaaah ! »

Tsytsivka se tenait la tête et le ventre, et Juan Martín la conduisit à l’infirmerie. En route, il lui suggéra de se mettre un peu d’eau sur le front pour simuler sueur et fièvre, mais c’était impossible pour elle… Mais il ne comprenait pas pourquoi. Elle devait lui dire…

« Je suis Céruléenne Tératoulienne, Juan Martín ! »

– Qu’est ce que ça veut dire ?

– La moindre goutte d’eau me redonne ma véritable apparence. A part l’eau de pluie.

– Ta véritable apparence ?

– Je ne suis pas humaine, je viens du monde de l’eau. Rappelle-toi la vague scélérate au début du voyage. Et toute cette escorte de requins… Tu comprends ? Mais surtout, ne le répète pas ! A personne, compris ?

– Compris, murmura le jeune homme, abasourdi. »

Il ne comprenait rien à ce que venait de lui dire Tsytsivka, à part qu’il s’agissait d’un secret. En chemin, ils croisèrent plusieurs marins, qui évidemment s’inquiétèrent. Ils comprirent ce qu’ils devaient faire quand la jeune fille releva subitement la tête pour déclarer entre ses dents « une balle dans la tête pour celui qui ne fera pas semblant d’être malade ; une grosse récompense pour celui qui fera bien semblant d’être malade », des mots qui, curieusement, firent tilt immédiatement.

Devant l’épidémie qui semblait sévir sur son bateau, le capitaine réagit comme on aurait pu s’y attendre. Pas besoin de promesse ou de menace pour qu’il soit malade ! C’est avec soulagement qu’il accosta et vit arriver le médecin du port. Celui-ci, accompagné de deux infirmières et d’un infirmier, se rendit aussitôt dans l’infirmerie. Il commença par ausculter la personne qui avait montré des signes de maladie en premier, à savoir Tsytsivka. Celle-ci jouait si bien la comédie que tout le monde croyait qu’elle souffrait réellement. Le médecin tapota son énorme ventre et lissa ses longues moustaches tombantes quand il entendit la jeune fille lui souffler les dents serrées : « une balle dans la tête si tu ne mets pas ce bateau en quarantaine ; une grosse récompense si tu le mets en quarantaine ; c’est toi qui vois », puis déclara finalement : « Quarantaine ! Au moins une semaine ! ». L’idée de Juan Martín fonctionnait à merveille.

Cependant, le dernier nom figurant sur la liste noire de Tsytsivka flairait quelque chose. Il était hors de question pour lui de rester sur ce bateau une seule heure de plus. Il s’était rendu compte de la disparition des quatorze autres au cours de la traversée. Après avoir tenté en vain de résonner le capitaine et le médecin, il se glissa hors de sa cabine, fit descendre un canot de sauvetage et s’échappa. La nouvelle de cette fuite arriva vite aux oreilles de Tsytsivka, et cette dernière exigea immédiatement la levée de la quarantaine. Le médecin, de retour sur le bateau à la demande du capitaine (ce dernier, certainement atteint de toute sorte de maladie, avait grand besoin de divers médicaments en urgence), constata la rapidité exceptionnelle de la guérison, et, contre une énorme récompense très prochaine, leva la quarantaine.

Tsytsivka et Juan Martín, aussitôt débarqués, cherchèrent où téléphoner. La jeune fille devait prévenir ses amis argentins de son arrivée. Ceux-ci devaient les rencontrer d’ici une demi-heure. Tsytsivka avait largement le temps de chercher la grosse récompense promise à ceux qui avaient participé au stratagème « quarantaine ». Un coup d’œil d’un côté, puis de l’autre, et elle plongea, remonta une perle de

5 kg

à chacun (une de

10 kg

pour le médecin, et des roches médicinales pour le capitaine). Heureusement, le soleil chauffait suffisamment pour sécher la moindre goutte d’eau très rapidement, et, après la distribution des prix, Tsytsivka rejoignit Juan Martín. Tous deux partirent boire un café en attendant les autres. Leur table était idéalement placée, avec une vue imprenable sur la rue.

Bientôt, deux silhouettes s’approchèrent : deux hommes, l’un petit et mince, l’autre plutôt genre armoire à glace, se dirigeaient vers eux. Le petit racontait quelque chose de manière très animée, le grand écoutait sans rien dire.

« … alors tu vois, ce que je veux dire, l’autre n’était pas vraiment d’accord, mais quand j’ai commencé à lui raconter tout ça il a changé d’avis. Et finalement eh bien il était d’accord avec nous, et donc on peut désormais le considérer comme un allié. Mais il faut quand même faire attention parce qu’on ne sait jamais. Et puis donc après ça je me suis réveillé, et je me suis mis à rigoler tout seul quand j’ai repensé à tout ça. Et je me suis dit que ce serait si bien que ce soit vrai, mais que ça ne risquait pas d’arriver, malheureusement. Et après je me suis rendormi et j’ai fait un autre rêve : alors on était sur un bateau mais pas sur l’eau, car c’était en fait un bus sur de la lave en fusion, et puis…

– Eh, tais-toi un peu, s’il te plait, le coupa laconiquement le grand.

– Nani ! Agustín ! s’écria Tsytsivka.

– Oh, celle dont le nom signifie « le son des vagues sur les rochers » ! fit Agustín. Alors comment tu vas ? Il paraît que tu as une liste noire sous la main dont un nom s’est échappé…

– Oui, c’est ça. Mais nous allons le rattraper, sourit Tsytsivka. Où est Luna ?

– Elle doit venir aussi ? On ne l’a pas croisée, en tout cas, elle est peut-être en retard, mais ça ne lui ressemble pas. Peut-être un problème de voiture, ou alors elle…

– La voilà, le coupa Nani.

– Tsytsivka ! s’écria la dénommée Luna. Je suis un peu en retard, il y avait… oh ! »

Luna s’interrompit en voyant Juan Martín, qu’elle trouva si beau qu’elle en restait ébahie, les yeux fixes, comme si une bulle s’était soudain créée, faisant disparaître tous les alentours sauf Juan Martín. La voix de Tsytsivka la fit retomber dans la réalité.

« Ouais, bah reviens-en ! lui dit-elle discrètement. Bon, je fais les présentations, déclara-t-elle d’une voix forte. Juan Martín, Luna, Agustín, Nani… J’ai faim, moi ! On va manger ? »

Luna les invita chez elle : après la pause-déjeuner et la sieste, ils établiraient le plan des opérations.

*******

Luna avait elle aussi établi une liste noire, cependant aucun des six noms n’avait encore été rayé. Cependant, l’un d’eux allait bientôt l’être, du moins les cinq justiciers l’espéraient, le lendemain soir. On avait en effet appris que l’un des nazis allait assister à un spectacle de cabaret. « Il faut se faire engager pour le spectacle », avait décidé Tsytsivka. Or, rien de plus facile, car Luna connaissait très bien la programmatrice du cabaret. Mais quels numéros présenter ?

Le lendemain, quatre heures avant le spectacle, une grande effervescence régnait à l’intérieur du cabaret. Luna n’était pas encore arrivée. Tsytsivka avait fait venir des sabres et des vêtements ouvaga via Kolilocéa, la « poste » océanique ultra rapide. Elle attendait à la porte de l’entrée des artistes, un sac de costumes posé sur une mallette, ses deux sabres dans les bras. Une vive discussion entre les trois hommes s’éleva, et la jeune fille abandonna son poste d’observation pour aller aux nouvelles.

« Mais si, ça te va très bien, je t’assure ! affirmait Agustín à Nani.

– Je ne suis pas très à l’aise, en costard-cravate, dit Nani. Et je n’aime pas trop les cravates…

– Bah, mets un nœud-pap’ ! intervint Tsytsivka, riant de toutes ses dents. Bon, alors, c’est au point ?

– Oui, ça devrait aller, dit Juan Martín. »

Luna ne tarda pas à arriver. Le plan fut de nouveau répété, puis tous allèrent finirent de se préparer pour le spectacle.

Le rideau venait de se lever pour le premier numéro de la soirée. Ensuite, ce serait au tour de Luna pour un numéro d’éventail, qui lui permettrait de repérer le placement des spectateurs. Il y avait trois table isolées sur le premier rang. Quatre numéros passèrent, puis ce fut au tour de Juan Martín et Agustín pour un tango. Ces trois tables isolées étaient bien éclairées et à la vue de tous les autres spectateurs. Encore deux numéros, puis vint le flamenco de Luna et Tsytsivka. Trois tables sur le premier rang trop éclairé, et à la table du milieu, accompagné de deux jeunes femmes, l’homme à abattre. Encore un numéro, puis ce fut l’entracte. Luna et Juan Martin se rendirent au balcon, Agustín et Nani rangèrent toutes les affaires dans leur voiture, puis Agustín prit place parmi les spectateurs, près de la porte.

Le spectacle reprit, et ce fut le numéro de Nani, qui jongla avec différentes balles ; il en envoya une de manière à casser l’ampoule qui éclairait trop le premier rang des spectateurs. Tout le monde prit ça pour un effet spécial, et le spectacle se poursuivit comme si de rien n’était. Nani rangea ce qui restait dans une petite mallette, puis se dirigea vers la salle. Il croisa Tsytsivka, qui était occupée à tresser ses cheveux en deux nattes.

« Tout est en place, dit-il.

– Sauf toi, dépêche-toi, répondit-elle, nerveuse.

– Ça va aller, ne t’en fais pas, la rassura Nani. »

Le jeune homme gagna sa place dans le public, à l’autre porte de sortie.

Tsytsivka respira profondément, puis entra en scène. C’était son numéro de sabres ouvaga, qui normalement étaient en bois : c’était un numéro de danse, avec des armes d’apparat. Cependant, elle avait troqué un des sabres en bois pour une arme réelle : il le fallait ce soir… Tout en chantant, elle dansait, maniant les lourds sabres de cinq kilos comme s’ils ne pesaient que quelques grammes. Ses deux nattes virevoltaient, ses bras allongés par les sabres se balançaient, ses pieds sautillaient, le moment approchait… La danse touchait à sa fin, par les pirouettes finales, dont chaque demi-tour se ponctuait par un coup de sabre au sol.

Et enfin, Luna poussa un hurlement terrifié, puis fit semblant de s’évanouir dans les bras de Juan Martín ; Agustín cria, montrant à tous le balcon ; Nani fit de même ; et toute la foule regarda en direction du balcon. C’était le moment : Tsytsivka s’approcha du bord de la scène, et plongea son sabre réel dans l’homme de la table du milieu. Comme tout le monde s’occupait de ce qui se passait au balcon, personne ne fit attention au geste de Tsytsivka.

La jeune fille salua, sortit de scène, et sortit en douce par la porte des artistes. Elle gagna la voiture, vite rejointe par Nani et Agustín. Un quart d’heure plus tard, Luna et Juan Martín sortirent, et la voiture prit la direction de chez Nani.

*******

Le lendemain, une drôle de surprise les attendaient. En effet, des portraits-robots de chacun d’entre eux étaient placardés çà et là, et la radio diffusait leurs signalements : « un petit moulin à parole nerveux, une armoire à glace taciturne, une danseuse de flamenco qui se cache sournoisement derrière son éventail, un marin fainéant et influençable, et une tueuse aux sabres avec une énorme dent autour du cou dont on se demande si elle est vraiment humaine »… répétait-on.

"Non mais, c’est quoi, ces trucs, là ? s’énerva Tsytsivka. C’est n’importe quoi ! Si je retrouve ceux qui diffusent ce genre d’âneries, je les bouffe !

– Je ne suis pas du tout taciturne ! s’écria Nani.

– « Fainéant et influençable » ? Moi ? ça m’étonnerait !

– Tout cela n’est qu’un tissus de mensonges ! Je ne suis pas du tout sournoise, moi ! fit Luna, excédée.

– Et moi, je ne suis ni nerveux, ni moulin à parole. Je ne parle que pour dire des choses intéressantes, faire remarquer des trucs que personne ne voit, et c’est tout ! conclut Agustín."

Cependant, une autre surprise, bien plus mauvaise, leur tomba dessus. Alors qu’Agustín les avaient invités à boire un verre chez lui, il trouva la porte de sa maison fracturée, toutes les affaires dessus-dessous, sa femme ligotée et la chambre de sa fille vide ! Que c’était-il passé ? Il délia sa femme, qui lui raconta tout : des hommes avaient fait irruption, avaient tout cassé, l’avaient attachée car elle avait essayé de les assommer, et avaient enlevé la fillette pour faire pression sur eux. Agustín hurla, donna des coups de pieds aux objets qui traînaient, et les autres se rendirent dans la pièce à côté.

Luna, qui ne se séparait jamais de sa liste noire, la consulta : c’était bien les méthodes employées par tous les membres de sa liste, des Argentins pro-nazis qui n’avaient pas hésité à aider tous ceux qui partageaient les même idées qu’eux, utilisant divers moyens de pression (meurtre, enlèvement, torture, …) sur leurs opposants. Ainsi, celui que Tsytsivka avait éliminé s’était « occupé » des filles de plusieurs opposants, puis les avait tuées. Nani craignait pour sa nièce : elle n’avait que deux ans et demi, était sans défense, si fragile…

« ¡ Uaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaay!¡ Uaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaay ! hurlait la fille d’Agustín. ¡ Me duelen las manos y los pies … ! Y me duele la cabeza, y me duelen la punta de los dedos ! »

Mais quelle idée de la kidnapper, celle-là ! pensaient les ravisseurs de la fillette.

« ¡ Uaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaay ! ¡ Estoy sed ! »

Et dire que son oncle la croyait sans défense…

« ¡ Uaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaay ! ¡ Estoy hambre ! »

Mais quand allait-elle arrêter de hurler comme ça !

« ¡ Quiero comeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeer ! »

L’homme qui la tenait comme un sac à patates la posa à terre, excédé. Les quatre autres s’arrêtèrent, agacés.

« ¡ Quiero bebeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeer ! »

Tu vas te taire, oui ? pensaient-ils tous. L’un d’eux dégaina une arme et la colla sur le front de la petite fille, qui s’arrêta de hurler mais commença à pleurer.

« Yo quiero mi papa y mi mama, fit-elle. »

Qu’allaient-ils faire ? Ils ne pouvaient plus la supporter. Depuis l’enlèvement, elle n’avait cessé de leur casser les oreilles, avec ses « j’ai mal ici, j’ai mal là, j’ai faim, j’ai soif, je vais le dire à tout le monde, vous n’êtes que des méchants, … ». Ils étaient épuisés. Hors de question de continuer avec elle sur les bras. La tuer ? songèrent certains. C’était s’exposer à davantage de vengeance, donc à plus de risque, pensèrent les autres. Il fallait trouver autre chose. La bâillonner ? Cela l’aurait empêché de parler, mais pas de crier. L’assommer ? ça aurait risqué de la tuer, et re-vengeance… Ils décidèrent de l’abandonner là, en pleine nature. Aucune chance qu’elle arrive à les suivre avec ses petites jambes, aucune chance qu’elle arrive à rentrer chez elle. La pression sur Agustín pourrait être maintenue, sans les inconvénients découlant de la séquestration de sa fille.

Ils abandonnèrent donc la fillette, soulagés de ne plus entendre ses braillements.

Mais comment vous compter la retrouver, ma nièce ? demanda Nani.

Rien de plus facile, sourit Tsytsivka.

Alors que Nani, Luna et Juan Martín se creusaient les méninges pour savoir quelle idée Tsytsivka pourrait bien avoir, la céruléenne ouvrit la fenêtre, et se mit à parler dans une langue aux accents étranges, très peu humains. Elle alertait en Okéani le téléphone aquatique : toute créature qui avait vu une fillette emmenée par de force devaient le dire à des oiseaux, qui le répéterait à Tsytsivka.

A peine un quart d’heure venait de s’écouler quand la réponse arriva : une petite fille était toute seule, près d’une rivière, en pleine nature. Elle semblait avoir deux ou trois ans, pleurait et avait peur.

Aussitôt, Tsytsivka, Nani, Juan Martín et Luna sautèrent dans la voiture, et s’élancèrent sur une piste cahoteuse, guidés par trois oiseaux. Ils finirent par trouver la fillette endormie au pied d’un arbre.

De retour chez Agustín, Tsytsivka prit une décision très importante : elle cacherait la femme et la fille d’Agustín à Uchuki, au fond de l’océan, près de la côte de la Patagonie. Elle partit chercher de quoi préparer la boisson spéciale qui permettait à des Humains de vivre quelques temps sous l’eau comme des Céruléens. En chemin, elle croisa un mégalodon déprimé. « Bah, qu’est-ce que tu as ? lui demanda-t-elle.

J’ai même pas faim, et les autres là bas, à Uchuki, ne veulent même pas me laisser entrer. Ils ont peur que je bouffe tout le monde, c’est pas juste !

Si tu te mets des algues façon grillage, ils n’auront plus peur. Les humains font ça pour des animaux de compagnie qu’ils appellent « chiens ». »

Lorsqu’elle remonta, il faisait nuit. Tout le monde attendait sur le rivage éclairé par une lune éclatante. Tsytsivka fit boire à la femme et à la fille d’Agustín la boisson spéciale, puis elles entrèrent toutes trois dans l’eau. Le mégalodon, la gueule obstruée d’algues à la façon d’une muselière, les prit sur son dos, et nagea en direction d’Uchuki.

*******

« Elles ont fait bon voyage ? demanda Agustín quand Tsytsivka rentra.

– Oui, très bon. La petite s’est endormie aussitôt, et vue l’heure qu’il était, il n’y avait pas trop d’encombrements sur la route. »

Le lendemain matin, Luna réveilla tout le monde de bonne heure, enthousiaste : les poisons qu’elle mettait au point depuis un mois étaient enfin prêts. Ce soir, ce serait au couple infernal d’être rayé de la liste : l’un des quatre hommes restants et sa femme, plus sadique encore. Le poison de Luna était de toute première qualité : incolore, inodore, sans goût, indécelable à l’autopsie, et faisant effet trois jours après l’absorption : personne ne pourrait la soupçonner ! Quatre jours plus tard, on apprit la mort par crise cardiaque de couple. Une mort annoncée comme « naturelle »…

Plus que trois noms sur la liste de Luna, et plus qu’un sur celle de Tsytsivka. Tout se passait très bien, et, pour couronner le tout, les portraits-robots des cinq justiciers affichés partout avaient été ôtés.

Alors qu’il était sorti faire les courses, Agustín tomba nez à nez avec l’un des ravisseurs de sa fille. Il avait potassé la liste noire de Luna, qui, tout comme celle de Tsytsivka, comportait les photos des cibles à côté de leurs noms et adresses exactes (jusqu’au pallier !). Son sang se mit à bouillir, il voulait se jeter sur la cible et l’éliminer immédiatement, mais il y avait trop de monde… L’homme sortit. Agustín le suivit prudemment. L’homme entra dans un immeuble assez chic. Dans le hall, un téléphone permit à Agustín de prévenir les autres. Ces derniers arrivèrent une demi-heure plus tard. Ils étaient entrain de discuter de la marche à suivre quand les deux autres de la liste de Luna montèrent. Ils dînaient ensemble ? Parfait ! On ferait un lot de groupe ! Mais comment ? La méthode se présenta d’elle-même : quatre serveurs portant des plats entrèrent.

« Ouaaaah ! ça a l’air drôlement bon, tout ça ! s’écria Tsytsivka. Je peux voir ?

Non, c’est pour les gens du troisième étage(un sourire se dessina sur les visages des cinq justiciers : c’était pour les cibles). Ecartez-vous.

Je crois que vous devriez me montrer ces plats tout de même, s’entêta Tsytsivka.

Non, mademoiselle. Poussez-vous, maintenant, vous nous gênez.

Vous feriez mieux de me laisser voir ces plats. Brigade d’hygiène : on a eu plusieurs cas d’empoisonnement par du poisson pas frais, et les restaurants ne sont pas en cause. C’est à cause d’une maladie du poisson, et c’est pratiquement indécelable… »

Les serveurs soulevèrent les couvercles des plats. Tsytsivka examina attentivement chaque plat à base de poisson.

« Oui, c’est bien ce qui me semblait…

Il y a contamination ?

Oui, mais un remède très simple, qui n’altèrera en rien le goût de la nourriture, existe. Assistante, to farmakon, s’il vous plait (Luna lui tendit la fiole de poison : elle avait bien fait de la prendre au cas où !)… Voilà, comme ça, pas de risque de ce côté là. Vous pouvez y aller ! Oh, juste un petit truc : ne dévoilez cela à personne, nous ne voulons pas créer de panique, encore moins de psychose. Bonne soirée ! »

Les quatre serveurs montèrent, et les cinq amis sortirent, riant sous cape.

Mais comment as-tu su qu’il y avait du poisson ? s’étonna Luna.

Je suis Céruléenne, ne l’oublie pas…sourit Tsytsivka.

En tout cas, ma liste noire est désormais entièrement traitée !

Ouais… Il est temps d’en finir avec la mienne, désormais…

*******

Après une semaine de recherches infructueuses, un indice très précieux vint aux oreilles de Tsytsivka : le dernier de sa liste noire s’était installé dans une espèce d’hacienda, plus à l’intérieur des terres. Plusieurs jours de voyage étaient nécessaires pour s’y rendre. Les cinq amis firent leur bagages, s’entassèrent dans la voiture, et s’élancèrent sur la route. Ils se relayèrent, heure par heure, jusqu’à la nuit, puis installèrent un petit bivouac. La nuit serait divisée en deux : dans un premier temps, Juan Martín monterait la garde avec Luna tandis que les autres se reposeraient, puis ce serait au tour de Tsytsivka de veiller en compagnie de Nani et Agustín alors que les deux premiers veilleurs dormiraient.

Tsytsivka ronflait comme un ours, mais apparemment ça n’empêchait ni Agustín ni Nani de dormir à poings fermés. Puis Luna et Juan Martín les réveillèrent. Encore endormie, Tsytsivka rechigna un peu à prendre son tour de garde, mais un petit verre d’eau de mer suriodée la réveilla parfaitement. Pour passer le temps, ils se mirent à jouer aux cartes, sans dire un mot, attentifs au moindre bruit. Le feu crépitait doucement, et la Lune les éclairait. Au bout d’un moment, Agustín s’endormit. Nani et Tsytsivka le laissèrent se reposer, et, comme il faisait plus frais, se rapprochèrent du feu. Tsytsivka se mit à chanter en Okéani : « Kwchatvelli iszsana. Tvelikwbla wvena. Tchiszsa ayali akwlszi terba nokwtcha abwlyszsa. Naha rwlimni likémna, szstibliszskani. Dwkli iwli anedinwbai ketabliszs. Napla aviya lokwvetha samiroi. Thebalikti tchtili szswli kwdameliana. Kwchatvellilala, tepihoralala, abwlyszsalala… »

– C’est beau, dit Nani. Ça veut dire quoi ?

– C’est une berceuse en Okéani, la langue des mers et des océans. La chanson de la nuit. En gros, ça veut dire : « c’est la nuit, là au-dessus, mais ici on ne le sait pas, car il fait toujours nuit dans les grands fonds. Ici nous ne recevons pas de lumière, nous la créons. Ici les affres de la surface ne tombent pas. Il arrive cependant que sombre un navire rempli d’humains. Mais lorsque ils atteignent le fond il n’en reste plus rien… La chanson de la nuit, c’est la chanson des abysses, la chanson des grands fonds… »

Le lendemain matin, un coup d’œil à la carte ravit tout le monde : ils atteindrait leur but dans la soirée. La route se déroula sans encombre, et enfin, au crépuscule, les bâtiments où se terrait la dernière cible se dressèrent devant eux. Fallait-il attaquer maintenant ou valait-il mieux d’abord repérer les lieux et opérer après, en plein jour ? Comme tout le monde était fatigué, la deuxième solution fut adoptée à l’unanimité.

Un mur d’enceinte entourant un autre mur protégeait une massive mais élégante demeure, dont les lumières étaient allumées. Les cinq amis s’approchèrent sans bruit, prudemment, mais soudain le silence fut déchiré par un rire dément de Tsytsivka : Juan Martín avait failli tomber, et s’était raccroché de justesse en faisant une grimace. Un « chchchchuuuuuuuuuuuuut ! » de Luna mit fin à la carcajada au moment où deux gardes effectuaient leur ronde. Il était temps !

Ils retournèrent dormir, et passèrent une nuit très calme. Et comme la veille, ils allèrent à tour de rôle se laver. Tsytsivka fut la dernière à s’éloigner. Elle piqua une tête dans le fleuve, et, une fois sèche, retourna vers la voiture. Mais une très mauvaise surprise l’y attendait : les autres avaient été enlevés ! Des traces de lutte, des affaires sens dessus-dessous, et les pneus de la voiture crevés… Tout indiquait la direction des bâtiments. Que faire ? Le sort des autres était entre ses mains… Elle n’hésita pas une seule seconde : elle devait absolument entrer, maintenant, et on verrait bien après. Elle fouilla dans la boîte à gants, en sortit un passe-partout, qu’elle dissimula dans ses cheveux qu’elle coiffa en deux macarons. Puis elle marcha, tête haute, vers les bâtiments. Elle ne tarda pas à se faire arrêter et enfermer. Elle râla pour la forme quand les clés tournèrent, et, après quelques minutes d’attente, déroula son macaron gauche. Clic clic, le passe-partout vint à bout du verrou en très peu de temps. Elle parcourut les couloirs de la cave du bâtiment, transformés en prison : ses amis étaient là, ainsi que des gens du coin, qui s’étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. Elle libéra tout le monde, et les mena vers la sortie. Personne au rez-de-chaussée : la voie vers la porte était libre. Nouveau tour de passe-partout, et la porte s’ouvrit sur la plaine. Après s’être assurés que personne ne les surveillait, ils sortirent furtivement. Cependant, un cri attira l’attention de Tsytsivka, et elle s’aperçut qu’il manquait quelqu’un : où était Nani ?

« Partez, et courez vers la rivière, dit-elle, moi, je vais libérer Nani et je vous rejoints.

– Non, s’écria Agustín, je ne vais pas le laisser là, je ne peux pas.

– Mais je m’occupe de tout, je te dis ! Tu seras bien plus utile en aidant les autres à gagner le fleuve. Va ! »

Agustín sortit, et Tsytsivka se dirigea en direction du cri de Nani. Etait-il entre leurs mains ? La réponse arriva vite, et soulagea la jeune fille : Nani s’était tout simplement tordu la cheville en courant dans le couloir. Comme il fermait la marche, personne ne s’en était aperçu. « ça va, tu peux marcher ? »

– Oui, répondit l’Argentin, assis par-terre et se massant la cheville, pas de problème, la preuve ! »

Il tenta de se lever, mais un nouveau cri de douleur vient ponctuer sa tentative, et seule l’intervention in extremis de Tsytsivka l’empêcha de se retrouver au sol. Elle l’aida à marcher jusqu’à la sortie, ouvrit la porte, et ne fut pas surprise d’y retrouver Agustín.

« Tout va bien, c’est juste ma cheville ! »

Alors qu’Agustín prenait le relais de Tsytsivka pour soutenir Nani, des bruits de pas retentirent dans le couloir. Tsytsivka n’eut pas le temps de suivre ses amis, et préféra refermer la porte pour leur permettre de fuir, après avoir glissé le passe-partout à Nani.

« Que fait-elle dehors, celle-là ? fit une voix traînante. Vous n’aviez pas fermé la porte de sa cellule à clé, bande d’incapables ? Emparez-vous d’elle. »

Il fallait gagner du temps, et elle n’opposa qu’une résistance formelle. Ça permettrait aux autres de gagner le fleuve sans être suivis. On la mena, mains menottées derrière le dos, dans une salle de bain. Un coup d’œil dans le miroir l’énerva : elle était horriblement mal coiffée. L’homme à la voix traînante ordonna le remplissage de la baignoire.

« C’est… C’est de l’eau de pluie ? demanda Tsytsivka.

– Bah, non, c’est de l’eau normale, de l’eau du robinet… »

Complètement abasourdi par la question de la Céruléenne, l’homme mit quelques secondes avant d’enchaîner : « un de mes meilleurs amis a échappé de peu à une… comment dire… tueuse… lors de sa traversée.

– Tueuse ? Non, pas lors de la traversée. Je n’ai fait que préparer le repas pour mes amis requins. Le terme est donc inapproprié.

– Cette tueuse – pardon : cette « cuisinière » – n’a certainement pas agi seule, et je souhaiterais connaître le nom de ses complices.

– Tu ne t’adresses jamais directement aux gens à qui tu parles, toi ? Enfin bref, ce n’est pas de l’eau de pluie. Dans ce cas vous êtes morts, tous autant que vous êtes, dans cette pièce. Je ne vous donne même pas cinq minutes. »

Les yeux de Tsytsivka brillaient de rage, et elle passa sa langue sur ses dents, ce qui était un signe précurseur d’un combat. Elle n’avait plus d’humaine que l’apparence…

Sans se préoccuper de l’avertissement de leur prisonnière, les deux hommes qui la tenaient, sur un signe de l’homme à la voix traînante, la firent basculer dans l’eau la tête la première. Et ce qui devait arriver arriva : dès que la toute première goutte d’eau la toucha, la jeune fille se métamorphosa et retrouva sa véritable apparence : trois mètres de haut, dents joliment pointues, mains couvertes d’écailles, et l’estomac vorace.

« Je vous avais prévenu, dit elle. Vous n’avez pas su écouter, donc, tant pis pour vous. Et j’ai une faim de mégalodon… »

Les autres attendaient à la rivière : que faisait donc Tsytsivka ? Enfin, au bout d’une heure, on la vit arriver. Elle avait attendu que l’eau sèche avant de sortir. Comme ça, aucun risque de faire peur aux autres…

Un petit bateau, appartenant à l’un des habitants libérés, était amarré sur le fleuve. Les habitants montèrent à bord, et le bateau partit.

Les cinq amis se retrouvèrent seuls. La cheville de Nani lui faisait encore un peu mal, mais la douleur commençait à se résorber. Tous s’activèrent à la réparation et au regonflage des pneus, et, le soir, tout était rentré dans l’ordre.

Alors qu’ils s’apprêtaient à monter à bord de la voiture, des coups de feu éclatèrent. Vite, vers le fleuve ! Les coups de feus éclataient de toute part. Juan Martín se retourna : la dernière cible était parmi les tireurs ! Et dire qu’aucun des cinq amis n’avait d’arme à feu à disposition… Ils redoublèrent de vitesse. Bientôt le fleuve… Ils longeaient un petit à-pic qu’il fallait descendre prudemment par l’unique sentier praticable. Luna s’élança, suivie de Juan Martín, d’Agustín et de Nani. Tsytsivka, légèrement alourdie par son repas, fermait la marche. Encore un coup de feu, et Tsytsivka poussa un cri de douleur : touchée ! Elle vacilla, bascula, et s’effondra dans les bras de Nani, qui avait couru pour l’empêcher de tomber dans le vide.

« Tsytsivka ! s’écrièrent les autres.

– Portez-moi…jusqu’au fleuve…ça va aller… conduisez-moi…au fleuve…vite… »

*******

Une fois déposée délicatement dans l’eau du fleuve, Tsytsivka (sous sa véritable apparence immédiatement retrouvée) ferma les yeux. Un fourmillement s’entendit alors, et des centaines de tout petits poissons accoururent et s’activèrent autour de la blessure au côté droit. La balle glissa dans l’eau, et Tsytsivka ouvrit les yeux, guérie. Les petits poissons disparurent aussi rapidement qu’ils étaient venus, et la jeune fille se redressa, les yeux flamboyants. Les quatre autres souriaient, soulagés.

« Je ne vois qu’un seul truc pour être sûr de se débarrasser de la dernière cible, dit Tsytsivka en triturant son pendentif dent de requin.

– Ouais, on va le voir et on lui casse la g… commença Agustín.

– Non, il doit croire qu’il a gagné. Et au moment où il s’y attendra le moins, la vengeance s’accomplira.

– Comment cela ?

Vylatwkwtchiva… C’est une cérémonie spéciale qui… Mais voyez plutôt, vous comprendrez mieux. »

Debout dans l’eau, Tsytsivka posa ses deux mains à la surface du fleuve, et murmura en Okéani : « Vyla mika. Vylatw szséva. Teperana ma ! Szsideï noki lerénn hoszsa kami. Ratw rema reméra. Vylatwkwtchiva ! Hrwk ! »

Toute la masse d’eau oscilla, et les plantes autour, et les pierres, et même le sol. On aurait dit une onde sismique, dont l’épicentre aurait été Tsytsivka. Les quatre humains se demandaient bien ce que tout cela signifiait, et la Céruléenne leur apporta la réponse.

« Dès que la cible s’approchera à moins d’un mètre de toute masse naturelle d’eau, ils y sera aspiré. Et il ne pourra pas en ressortir. Donc, soit il se noiera, soit il se fera bouffer. Dans tous les cas, on a gagné… Allez, tous à la mer, je vous invite dans mon monde pour fêter notre victoire ! »

Quelques jours plus tard, les cinq amis, dans une crique isolée, se mirent à l’eau. Les humains avaient bu la boisson spéciale de Tsytsivka, et bientôt après se trouvèrent au fond de l’eau. Une solide corde passés autour de la taille pour ne pas se perdre en route, la Céruléenne en tête, ils firent route vers Uchuki. Un calmar géant les croisa, amusé. Deux tétrodons qui se disputaient, en boule, cessèrent leur querelle pour les saluer. Les humains s’émerveillaient de tout : la végétation, la faune, les roches… Ils ne tardèrent pas à être doublés par le mégalodon anorexique, la gueule toujours muselée d’algues. Reconnaissant Tsytsivka, il prit tout le monde sur son dos, et les mena à Uchuki. Agustín retrouva sa femme et sa fille, toutes deux habillées à la mode céruléenne anthropoulienne.

Un formidable festin fut servi : beignets de calamar sucrés à la perle rose, salade d’algues rouges au coquillage pilé, homards géants à la mousse de corail, et enfin en dessert des tomates de mer saupoudrées de sucre de perle noire, de perle blanche et de nacre brute.

Tous passèrent la nuit dans le palais du prince d’Uchuki, et le lendemain matin Tsytsivka raccompagna les six humains chez eux.

Le lendemain, dans les journaux, on faisait état de la curieuse disparition du dernier de la liste noire de Tsytsivka, « porté disparu après une chute dans le fleuve et dont le corps n’avait pas été retrouvé ». C’était fini…

« Voilà, je vais retourner dans le monde de l’eau, moi, dit Tsytsivka.

– Et moi en Espagne… C’est chez moi… dit Juan Martín… quoique… après ce qui s’est passé sur le bateau… mais j’ai envie de retourner en Europe… mais avant… c’est pas facile…

– De quoi tu parles ? s’enquit Tsytsivka. »

– Non, rien…soupira Juan Martín.

– Et nous, nous allons reprendre une vie plus calme, dit Agustín.

– Oui… confirma Nani. »

Luna et Juan Martín discutaient avec animation dans un coin. Ils paraissaient enthousiastes, et ce que tout le monde pressentait se dévoila au grand jour quand Luna s’écria :

« Je pars avec Juan Martín ! On va en Europe. J’ai entendu parler d’une ville où on fait du champagne et où on joue au rugby, ça s’appelle … euh… Sparna ou quelque chose comme ça…

– Epernay, corrigea Tsytsivka. C’est en France. J’ai vécu au larges des côtes françaises, du côté de Biarritz. Eh beh un jour j’ai bu de cette boisson appelée « champagne », et c’était écrit « Epernay », « champagne sparnacien » et encore un autre bidule, mais je ne me souviens plus quoi.

– Bah voilà… le moment est venu… commença Luna.

– Je n’ai jamais été doué pour les adieux, reconnut Juan Martín.

– Moi non plus, ajouta Nani.

– Moi j’y suis habituée, mais je n’ai jamais aimé ça, intervint Tsytsivka. En tout cas, j’ai été ravie de travailler avec chacun de vous à la protection de l’Argentine contre le nazisme.

– J’espère que l’Argentine ne tombera pas… souhaita Agustín.

– Et que beaucoup de listes noires ont été établies, reprit Luna.

– Bon, voilà. Je pars. Si un jour vous avez besoin ou envie de me contacter, n’hésitez pas : une bouteille à l’eau avec un message et mon nom écrit en gros sur la bouteille, même en écriture humaine, ça me parviendra à coup sûr ! ¡ Adios amigos !»

Ils se serrèrent dans les bras les uns des autres, puis Nani et Agustín rentrèrent chez eux ; Juan Martín et Luna prirent la direction du port, et Tsytsivka plongea dans la mer.

Le navire qui emportait Luna et Juan Martín vers l’Europe était maintenant en pleine mer, et la côte argentine n’était plus qu’un petit trait au loin. Le capitaine avait pâli (et avait respiré dans une petite boîte pleine de roche verte pilée) en voyant son ancien marin, mais avait été soulagé de voir que la jeune fille qui l’accompagnait n’était pas Tsytsivka.

Accoudés au bastingage, ils aperçurent une tête qui émergea non loin du bateau. Un requin ? Une baleine ? Ils observèrent attentivement, sourirent, et, la reconnaissant, agitèrent leur bras pour souhaiter bon voyage à leur amie céruléenne.

Tsytsivka agita ses bras en retour, sourit de toutes ses dents, puis piqua au fond. Elle avait décidé de mettre le turbo, pour être arrivée où elle se rendait avant la nuit. En chemin, elle croisa les deux requins qui s’étaient tant régalés des repas qu’elle leur avait servis.

« Alors, ça y est, vous avez eu votre dernier plat, enfin ?

– Ouais, bah parlons-en, de notre dernier plat. Il n’est pas arrivé entier.

– Certains s’étaient déjà servis, et du coup on a eu que des restes, c’est pas juste !

– Pfff, soupira Tsytsivka, vous n’êtes pas possibles, vous les requins. Toujours entrain de vous plaindre de la nourriture ! Il faut bien que ceux de l’eau douce mangent aussi ; après tout, ce sont eux qui ont attrapé le plat !

– Oui, mais bon…

– Suffit ! Sinon, c’est la muselière pour vous deux, plaisanta Tsytsivka.

– Tu vas où ? demandèrent les requins.

– Me reposer un peu du côté des îles Samoa… Non, il n’y aura personne à manger. Et je vous conseille une autre denrée, l’humain n’est pas très bon pour la santé. Allez, salut ! »

Et Tsytsivka nagea si vite qu’elle atteignit les îles Samoa pour le petit déjeuner…

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité